ON MY WAY TO WORK
Les photographies nous parlent de la dualité fictive et incohérente que nous habitons dans notre monde contemporain. D'une part, ce qui nous est présenté comme propre à la féminité. La danse, le corps, ou même l'art sont dévalués face aux actions de la rationalité et de la productivité capitaliste. De plus, la danse dont notre protagoniste est passionnée a ses racines dans le travail sexuel effectué par la majorité des femmes précaires, appauvries et racialisées dans les clubs de strip-tease aux États-Unis. Des femmes qui exerçaient leur souveraineté et utilisaient cette danse pour générer du capital économique. Des femmes qui, en raison de leur identité et des oppressions structurelles auxquelles elles étaient soumises, utilisaient le pole dance comme exutoire. Donc, une bonne question à se poser serait pourquoi le pole dance est l'une des pratiques les plus - sinon la plus - dévalorisée dans le monde de la danse ? Pourquoi, s'il est devenu une action productive, ne répond-il pas aux mêmes normes que tout autre travail productif ? La réponse est à la fois patriarcale et coloniale. Le corps de la femme dans les marges qui produit son propre profit est rejeté. Le corps féminisé qui montre, apprécie et même capitalise sur sa sexualité est puni parce qu'on attend de lui qu'il soit au service de l'autre et le fasse gratuitement. Il est intéressant de voir comment dans les photographies où notre protagoniste se déplace dans la ville pour travailler sur son ordinateur Mac, ses bottes de pole dance apparaissent. Dans cet environnement cannibale et chaotique de la ville turbo-capitaliste, Andrea ne renonce pas à la liberté que lui offrent les coins de la nature. Grimpant sur son poteau entourée de forêt, ses plates-formes vertigineuses la font flotter dans des postures oniriques moralement interdites. Là-haut dans l'air, nous pouvons penser qu'elle s'évade de cette autre réalité. Celle du bureau de quarante heures par semaine, des patrons xénophobes, des collègues qui la regardent avec insistance pendant qu'elle fait une présentation, ou des quarts de nuit sur le chantier. Le sens de la liberté et du plaisir que nous évoquons dans la relation d'Andrea avec le pole dance se reflète dans les photographies qui ne respectent pas les normes techniques mais jouent avec le flou, la double exposition et les compositions les plus aléatoires. Des photographies résultant d'une anti-technique guidée par le récit. Comment ne pas parler d'identité quand il s'agit du corps ? Comment ne pas parler d'identité quand il s'agit d'expérience incarnée ? Mais les bords complexes qui composent l'histoire de notre protagoniste nous parlent non seulement de son identité, mais éclairent également les impositions systémiques auxquelles elle-même est confrontée. Le pole dance devient dans cette histoire à la fois une possibilité de lutte et un moyen d'évasion, démontrant que la vertu du désir et de ce qui nous anime est potentiellement un outil pour affronter l'imposé. Nous nous soucions davantage de cela que de l'identité. L'identité peut être un refuge mais elle ne sera pas la clé. Nos désirs furieux de fissurer cette réalité.
TEAM
PHOTOGRAPHIE: estefanía henríquez cubillos @estefaniahenriquezc
DIRECTION ARTISTIQUE & STYLISME: laura rodríguez garcés @laura_luy_
MAQUILLAGE & COIFFURE: elisa ordovás guillén @ninakupenda
MANNEQUINE: andrea pastor martí @andie_poledance
ÉCRIVAINE: sofía giménez laborda @sofya69